De la dissimulation identitaire à l’invisibilité spatiale : les Albanais en Grèce, un groupe migratoire surnuméraire
De Ifigenia Kokkali
Depuis l’effondrement des régimes communistes en Europe de l’Est, la Grèce est devenue le lieu de réception de vagues migratoires nombreuses et répétées. Les flux principaux viennent d’Albanie : en 2001 date du dernier recensement grec –, 438 036 personnes, soit près de 4% de la population totale ou 57% de la population étrangère du pays, étaient albanaises.
Leurs migrations impliquent certains phénomènes particuliers : des changements de prénom – certains changent leur prénom albanais quand celui-ci a une forte consonance musulmane pour adopter un prénom grec –, et l’adoption d’une religion de façade (prétendre être chrétien orthodoxe comme l’écrasante majorité des Grecs)
Cette « dissimulation identitaire » va de pair avec un autre phénomène : bien que formant le groupe migratoire de loin le plus nombreux de Grèce, les Albanais sont collectivement invisibles dans la ville. Aucune trace de leur « ethnicité » ne marque durablement l’espace urbain. À Thessalonique, deuxième ville du pays, ne voient le jour ni cafés, ni restaurants, ni salles des fêtes, ni épiceries ou commerces albanais.
Pourquoi et dans quelles conditions apparaissent les phénomènes de dissimu-lation identitaire ? Comment les pratiques des migrants albanais s’inscrivent-elles dans l’espace urbain ? De l’insertion urbaine à la production et à l’appropriation de territoires, quel rôle joue l’histoire pré-migratoire des individus migrants ?
Le présent article s’appuie sur notre recherche doctorale, effectuée entre janvier 2004 et septembre 2008
. Les entretiens sur lesquels nous nous appuierons, émanent d’une recherche intitulée “Supporting the Design of Migration Policie : an Analysis of Migration Flows between Albania and Greece”, menée de décembre 2005 à juin 2006, pour le compte de la Banque Mondiale, par l’équipe du Laboratoire d’Analyses Démographiques et Sociales de l’Université de Thessalie (Grèce) à laquelle nous avons participé.
128 entretiens semi-directifs ont été menés avec des migrants albanais résidant en Grèce au moment de l’enquête. L’échantillon de l’enquête a été identifié et choisi sur la base d’informations recueillies pendant l’enquête LSMS 2005 menée en Albanie par la Banque Mondiale et l’Institut des statistiques albanais/INSTAT, (voir World Bank & INSTAT, 2003).
A la marge de cette enquête orchestrée pour l’essentiel par la Banque Mondiale, une trentaine d’entretiens qualitatifs a été menée en Grèce du Nord. Ces interviews qualitatives consistaient en questions supplémentaires adressées aux migrants après la fin de l’entretien par questionnaire
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Ces extraits sont fort explicite pour moi
Changement de prenom et « pseudo-changement » de religion : une veritable dissimulation identitaire
Comme Psimmenos (ibid.) le rappelle tres justement, le terme de patron ne designe pas uniquement l’employeur dans la sphere du travail, mais aussi, et surtout, le « national » qui possede un quelconque pouvoir sur la vie personnelle du migrant, et qui s’autorise a intervenir dans son histoire ou son identite personnelle. Dans ce contexte, le patron prend sous sa protection le migrant-employe et peut, en le baptisant ou en changeant simplement son prenom, lui donner de nouvelles identifications et qualites. La protection du patron se concretise en particulier par l’intervention dans les affaires concernant les cartes de sejour, la police, et meme l’inscription des enfants albanais a l’ecole grecque.
Il se peut que certaines personnes soient « Yiannis » pour tel Grec, « Yiorgos » pour tel autre, et ainsi de suite. L’absurdite de telles situations a ete soulignee par un de nos informateurs albanais : « appelle-moi comme tu veux ; moi, ce que je veux c’est travailler ».
Comment expliquer la dissimulation
En effet, un certain nombre d’etudes (Psimmenos, 2001 ; Mai, 2005) ont montre que quand les interviewes parlent pour eux-memes, ils essayent de se distinguer des autres Albanais. Des expressions telles que « je suis un pere de famille », « je travaille dur, moi », sont significatives, et l’usage d’un « nous » ou d’un « moi » qui s’affirment en opposition aux « Albanais » (ou simplement a « eux ») est tres frequent. Il s’agit donc ici d’une veritable « desidentification »
La dissimulation identitaire a laquelle recourent les Albanais en situation migratoire n’est pas un phenomene nouveau ; l’article de Gilles De Rapper (2000) « Les Albanais a Istanbul » en temoigne, il s'agit bien plutot d'une pratique historique. En effet, les Albanais, d'apres cet auteur, aimeraient particulierement colporter des historiettes dans lesquelles l’identite albanaise apparait cachee et maintenue dans la sphere domestique. Malgre l’envergure et l’anciennete de leurs migrations, les Albanais de Turquie ne tiennent pas a etre reconnus comme une entite communautaire, ils cherchent a se fondre sans laisser de traces dans la societe turque. Le fait d’etre Albanais ou d’origine albanaise ne s’exprime pas sur un mode politique et ne depasse pas en general l’histoire familiale. Dans le cas de cette vague migratoire, une rapide perte de la langue est observee : les jeunes sont dissuades par les generations precedentes de s’identifier a une origine albanaise. La dissuasion vise a assurer l’ascension sociale des jeunes generations. La dissimulation de l’identite albanaise se retrouve en Grece, a un moindre degre en Italie, et ce, sous des formes qui presentent d'importantes analogies. Cette demarche semble privilegier l’individu et la famille etendue plutot que la communaute.
Ce travail de recherche est excellent et decris bien les Albanais en Grèce
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